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CÉSAR.

grande ; mais la majesté du peuple romain, la sainteté des lois, l’antiquité des institutions, la souveraineté du sénat et du peuple, la grandeur de Pompée, la noblesse du patriciat romain, l’hostilité unanime des hommes de bien, la vertu de Caton, l’opposition de Cicéron, le nom auguste de la république, étaient de taille à se mesurer avec l’ambition d’un général qui allait tourner les armes de la patrie contre la patrie. Une harangue de Cicéron, un mot de Caton, un geste de Pompée, un scrupule de Labiénus ou d’Hortensius, ses propres lieutenants, dont il n’avait osé encore faire ses complices, l’horreur de ses légions contre le parricide, pouvaient faire tomber les armes de leurs mains.

À César ne se dissimulait évidemment aucun de ces périls de sa situation ; mais l’homme qui avait pleuré de jalousie à Cadix devant le buste d’Alexandre voulait le monde pour conquête, et le monde valait bien un péril d’une heure et mille crimes en un ! Or, le monde pour lui était à Rome ; le nœud des chaînes dont la république avait enchaîné l’univers était au Capitole. En le saisissant, ce nœud, dans la capitale du monde romain, César saisissait du même coup l’Italie, les Gaules, l’Illyrie, l’Espagne, l’Afrique, la Grèce et l’Asie. Alexandre avait été obligé d’aller chercher sa puissance, sa gloire et son nom de désert en désert, de champ de bataille en champ de bataille, depuis la Macédoine jusqu’à l’Indus ; César, plus habile et plus heureux, trouvait déjà. Rome asservie, et, en subjuguant Rome, il subjuguait en un seul jour les quatre continents. Le conquérant de Rome était, sans se déplacer, le conquérant de l’univers : une telle proie aurait tenté un plus vertueux.

Elle décida César. Les nouvelles qu’il reçut du Rubicon et l’étrange hésitation de ses troupes devant un scrupule qu’il croyait déjà sans doute franchi avec ce ruisseau, changèrent soudainement son attitude à Ravenne. Il sentit que l’exemple d’hésitation donné au Rubicon par sa légion