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CÉSAR.

Ses soldats, l’ayant reconnu, se pressaient en foule autour de lui, et semblaient, par leur attitude et leur silence, partager les fluctuations d’esprit de leur général ; mais tout atteste que ces fluctuations feintes n’avaient d’autre but que de s’innocenter davantage aux yeux de l’opinion et qu’une scène préparée par un de ses confidents devait faire violence à ses incertitudes et précipiter, par une impulsion soudaine et irréfléchie, ses soldats sur le sol interdit à leurs pas.

On entendit tout à coup sortir des roseaux au bord du fleuve les sons rustiques d’un chalumeau qui firent prêter l’oreille aux soldats étonnés de cette harmonie pastorale au milieu de l’appareil de la guerre. Un jeune homme d’une taille colossale, d’une beauté imposante et d’un costume statuaire, se leva tout à coup du milieu des roseaux et continua à jouer merveilleusement de sa flûte. Les bergers des bords gaulois du Rubicon et les soldats, étonnés du prodige, s’attroupèrent en foule autour de lui pour l’entendre. Quand l’étranger, sans doute un gladiateur ou un musicien gaulois aposté par César, vit l’armée assez nombreuse et assez émue pour lui imprimer un élan décisif, il jeta sa flûte, arracha un clairon des mains d’un musicien de la légion qui l’écoutait avec ravissement, et, sonnant la marche et la charge avec cet instrument plus sonore, il traversa le fleuve, entraînant à sa suite comme un troupeau d’hommes les soldats fascinés par leur instrument de guerre, par l’ivresse de la musique et par l’exemple du berger.

Arrivés sur l’autre rive, leurs acclamations sollicitèrent leur général de les suivre où le miracle les avait comme malgré eux transportés.

Allons donc, s’écria César, comme s’il cédait à l’obsession de sa fortune et comme s’il croyait aux prodiges et aux dieux ; allons où nous appellent la voix des