Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 34.djvu/334

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
333
CÉSAR.

teux d’hésiter si longtemps entre un homme et la patrie, avait fini par y venir, il se repentait déjà d’y être venu : honnête homme, mais incapable de se faire à lui-même un caractère de la trempe de sa vertu ! César n’était pas un de ces fantômes de conspirateur qu’on peut vaincre avec une harangue, comme Catilina.

César avait ramené ses légions décimées d’Espagne ; il en avait rappelé d’autres de la Gaule et de l’Illyrie ; il en avait onze comme Pompée, mais ces onze légions mal recrutées ne lui fournissaient que quarante mille combattants. Il n’avait point de flotte pour les transporter au delà de l’Adriatique, il n’avait pas le temps d’en construire. L’Italie, épuisée par la guerre civile, commençait à se défier de sa fortune. Il fallait se presser de frapper à la tête ; la tête, c’était Pompée et le sénat. Il chargea Antoine de lui recruter rapidement une autre armée. Antoine, son lieutenant, était lié avec lui par de tels attentats qu’il ne pouvait trouver son salut que dans le dernier crime.

Sans attendre Antoine, César, avec vingt mille vétérans d’élite seulement, s’embarque à Brindes, échappe à Bibulus, amiral de la flotte de Pompée, et descend de nuit sur une côte voisine de Dyrrachium. Ses vétérans murmurent :

« Où cet homme veut-il donc nous mener ? se disent-ils. Quand cessera-t-il de nous traîner par toute la terre en se servant de nous sans ménagement, comme si nous étions des corps de fer ? Cependant le fer lui-même s’use a force de frapper. César ne s’aperçoit-il donc pas, à nos blessures, qu’il commande à des hommes mortels ? Et c’est dans la saison même des tempêtes qu’il nous force à braver les vents et les frimas avec une telle précipitation, qu’il semble moins poursuivre que fuir ! »

César, sourd à ces témérités comme à ces lassitudes de ses vétérans, les tenait renfermés dans Apollonie, autre