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HOMÈRE.

comme un naufragé de la vie, l’enfant qui servait de lumière et ses pas, ses compagnons, les habitants de la ville et les pêcheurs de la côte lui creusèrent une tombe dans le sable, à la place même où il avait voulu mourir. Ils y roulèrent une roche, sur laquelle ils gravèrent au ciseau ces mots : « Cette plage recouvre la tête sacrée du divin Homère. » Ios garda a jamais la cendre de celui à qui elle avait donné ainsi la suprême hospitalité. La tombe d’Homère consacra cette île jusque-la obscure, plus que n’aurait fait son berceau, que sept villes se disputent encore. La tradition de la plage où le vieillard aveugle fut enseveli se perdit heureusement dans la suite des temps et dans les vicissitudes de l’île. Nulle rivalité de funérailles, de monument ou de vaine piété ne troubla son dernier sommeil. Sa sépulture fut dans tous les souvenirs, son monument dans ses propres vers. On montre seulement dans l’île de Chio, près de la ville, un banc de pierre semblable à un cirque, et ombragé par un platane qui s’est renouvelé, depuis trois mille ans, par ses rejetons, qu’on appelle l’École d’Homère. C’est là, dit-on, que l’aveugle se faisait conduire par ses filles, et qu’il enseignait et chantait ses poèmes. De ce site on aperçoit les deux mers, les caps de l’Ionie, les sommets neigeux de l’Olympe, les plages dorées des îles, les voiles se pliant en entrant dans leurs anses, ou se déployant en sortant des ports. Ses filles voyaient pour lui ces spectacles, dont la magnificence et la variété auraient distrait ses inspirations. La nature, cruelle et consolatrice, semblait avoir voulu le recueillir tout entier dans ces spectacles intérieurs, en jetant ce voile sur sa vue. C’est depuis cette époque, dit-on dans les îles de l’Archipel, que les hommes attribuèrent et la cécité le don d’inspirer le chant, et que les bergers impitoyables crevèrent les yeux aux rossignols, pour ajouter et l’instinct de la mélodie dans l’âme et dans la voix de ce pauvre oiseau.