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HOMÈRE.

Voilà l’histoire d’Homère. Elle est simple comme la nature, triste comme la vie. Elle consiste à souffrir et à chanter ; C’est, en général, la destinée des poëtes. Les fibres qu’on ne torture pas ne rendent que peu de sons. La poésie est un cri : nul ne le jette bien retentissant, s’il n’a été frappé au cœur. Job n’a crié à Dieu que sur son fumier et dans ses angoisses. De nos jours comme dans l’antiquité, il faut que les hommes qui sont doués de ce don choisissent entre leur génie et leur bonheur, entre la vie et l’immortalité.

Et, maintenant, la poésie vaut-elle ce sacrifice ? Quelle fut l’influence d’Homère sur la civilisation, et en quoi mérita-t-il le nom de civilisateur ?

Pour répondre à cette question, il suffit de lire.

Supposez, dans l’enfance ou dans l’adolescence du monde, un homme à demi sauvage, doué seulement de ces instincts élémentaires, grossiers, féroces, qui formaient le fond de notre nature brute, avant que la société, la religion, les arts, eussent pétri, adouci, vivifié, spiritualisé, sanctifié le cœur humain ; supposez qu’à un tel homme, isolé au milieu des forêts et livré à ses appétits sensuels, un esprit céleste apprenne l’art de lire les caractères gravés sur le papyrus, et qu’il disparaisse après en lui laissant seulement entre les mains les poésies d’Homère ! L’homme sauvage lit, et un monde nouveau apparaît page par page à ses yeux. Il sent éclore en lui des milliers de pensées, d’images, de sentiments qui lui étaient inconnus ; de matériel qu’il était un moment avant d’avoir ouvert ce livre, il devient un être intellectuel, et bientôt après un être moral. Homère lui révèle d’abord un monde supérieur, une immortalité de l’âme, un jugement de nos actions après la vie, une justice souveraine, une expiation, une rémunération selon nos vertus ou nos crimes, des cieux et des enfers ; tout cela altéré de fables ou d’allégories sans