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CÉSAR.

étendit, pour la première fois depuis la bataille de Thapsus, sur un lit, à la manière des Romains, car jusque-là il n’avait mangé que debout. À la fin du souper et au moment où la chaleur du vin anime et ébruite les conversations, il parla avec une divine éloquence et avec une conviction anticipée sur la liberté de l’homme de bien et sur la servitude des méchants asservis en réalité à leurs passions ; puis, craignant d’avoir fait soupçonner, par l’exaltation de son accent, le dessein couvé dans son âme, il redescendit aux choses humaines, s’informa des affaires publiques et privées de ses hôtes, et tranquillisa, par sa liberté d’esprit, ceux qui craignaient de lui un projet sinistre.

Après le départ des convives, il continua de se promener dans la salle avec ses amis, il donna les ordres pour la nuit et pour le lendemain aux commandants des portes de la ville. Ses amis retirés, il se coucha et lut, en attendant le sommeil, le dialogue de Platon sur l’immortalité de l’âme. Puis, s’étant aperçu que son épée, soustraite à sa main par la vigilante tendresse de son fils, n’était pas suspendue comme à l’ordinaire au-dessus de son chevet, il appela un esclave pour la lui rapporter.

L’esclave, d’intelligence avec son fils, tarda à lui obéir, dans l’espoir que le sommeil enlèverait à Caton la pensée de son arme. Il continua à lire en effet le dialogue de l’immortalité, et son âme était déjà si plongée dans ce monde supérieur dont il sondait avec Platon les mystères, qu’il fut le livre tout entier jusqu’à la dernière ligne, et que la première lueur de l’aube dans le ciel commençait à teinter l’horizon quand il rappela l’esclave pour lui redemander encore son épée.

Dans sa colère contre l’importune prudence de son fils et de ses serviteurs, qui l’exposaient, disait-il, à être livré désarmé à ses ennemis, il s’emporta jusqu’à frapper l’esclave qui lui refusait l’instrument de sa délivrance :