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CÉSAR.

« Eh quoi ! reprit Cassius, vous abandonneriez la république le jour où on veut lui porter le dernier coup ? Mais, si on vous appelle à consentir à un tel attentat, que ferez vous ?

» — Alors, répliqua Brutus, mon devoir sera de me prononcer, de parler, de repousser de toutes mes forces l’établissement de la royauté dans Rome, et de mourir le même jour que la liberté.

» — Vous, mourir ? s’écria Cassius ravi, avec l’accent de l’incrédulité ; et quel est donc le Romain qui vous laisserait mourir ? Ne vous connaissez-vous donc pas vous-même, Brutus ? et ignorez-vous seul ce que vous êtes pour Rome ? Pensez-vous donc que ces adjurations anonymes qui pleuvent toutes les nuits sur votre tribunal soient l’œuvre des artisans et d’une vile populace, et qu’ils ne sont pas plutôt la voix mystérieuse, mais unanime, des premiers, des plus honnêtes et des plus illustres de nos citoyens ? Ne vous y trompez pas, Brutus : le peuple attend des autres préteurs des largesses, des jeux publics, des combats de gladiateurs ; mais il attend de vous l’acquittement d’une dette contractée par le nom de vos pères, par le nom que vous portez : l’abolition de la tyrannie ? »

En finissant de parler, il embrassa Brutus, en inondant son visage de ces larmes d’enthousiasme qui sont le trop plein de la passion.

Brutus avait enfin consenti.

Du jour où la conjuration put compter sur Brutus, elle cessa de se cacher dans l’ombre comme un crime ; elle s’afficha presque comme une vertu. Sans avoir besoin de se donner les uns aux autres d’autres raisons et d’autres gages que le nom de ce grand homme de bien, un autre Brutus (Décimus Brutus), familier de César, Tribonius Cimber, tous les amis de Pompée, tous les adorateurs de Caton, tous les patriciens humiliés, tous les chevaliers ro-