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CÉSAR.

homme par la philosophie, l’éloquence, les lettres, l’honnêteté, il engagea les conjurés à ne pas lui confier l’entreprise. On ne doutait pas de son opinion, mais de son courage.

On ne pouvait, en effet, douter de l’opinion de Cicéron, qui écrivait peu de jours après la mort de César : « On ne peut assez louer les deux Brutus ; ils nous ont délivrés du tyran. Défendons en eux nos libérateurs, et consolons-nous de tout en pensant au 15 mars (jour où César avait expiré). Mais on pouvait douter de la constance et de la fermeté de l’homme qui, après avoir suivi Pompée et pleuré Caton, vivait familièrement avec le meurtrier de ces deux victimes.

Une sollicitude plus tendre empêcha Brutus de faire confidence de la conjuration à sa femme, Porcia ; non qu’il craignît d’être détourné par cette femme héroïque d’un dessein qu’il jugeait magnanime pour sa patrie, mais afin de lui épargner les transes et les terreurs inséparables de la longue attente avant les grandes résolutions.

Mais la tension d’esprit de Brutus pendant le jour, ses insomnies pendant la nuit, ses agitations inusitées pendant son sommeil, n’échappèrent pas à la tendresse attentive de la jeune femme. Elle soupçonna que son mari roulait quelque lourde pensée dans son âme et que c’était ce poids qui causait cette agitation maladive de ses sens ; avant de lui demander son secret, elle voulut s’éprouver secrètement elle-même, afin de savoir si elle était capable de surmonter la douleur et les supplices pour garder, jusqu’à la mort, le mystère qu’on aurait versé dans son sein.

Après que Brutus fut sorti du lit, elle ordonna à ses esclaves de la laisser seule ; et, s’armant d’un petit ciseau aigu à deux lames dont les barbiers romains se servaient pour tailler les ongles, elle se l’enfonça profondément dans les chairs et resta sans crier, à demi morte, baignée sous