Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 34.djvu/397

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
396
CÉSAR.

parmi ses assassins, soit conviction soudaine qu’il n’y avait rien à espérer d’une conjuration dans laquelle un homme aussi décidé que Brutus trempait le fer et la main : « Et toi aussi, Brutus ! » s’écria César d’un accent de reproche consterné. Et, renonçant aussitôt à se défendre, lâchant la lame du poignard de Casca qu’il tenait encore, il rabattit sur son visage le pan de sa robe en forme de voile ; puis, arrangeant de ses propres mains les plis de son manteau autour de ses jambes, comme pour mourir avec décence ou pour s’ensevelir lui-même avec dignité, il s’affaissa et il expira comme Pompée, d’un seul et long soupir, aux pieds de Brutus.

Ainsi était vengé un crime par un crime, le parricide de la patrie par le parricide de la nature. L’égorgeur et l’égorgé se disputaient l’horreur de ce meurtre et de cette mort.

« Le tyran est mort, meure la tyrannie ! » s’écriaient les conjurés en brandissant leurs poignards teints du sang de César et en montrant les vingt-trois blessures où chacun d’eux avait voulu signer dans le sang la délivrance de Rome et la renaissance de la république. Ils s’attendaient que le sénat, demeuré immobile de consternation pendant le meurtre, allait leur répondre par un cri unanime de liberté pour Rome et de gloire pour ses vengeurs.

Leur premier supplice fut de voir qu’ils avaient vengé de la tyrannie un sénat qui n’osait regarder, même mort, le cadavre d’un tyran. Brutus, étonné de ce silence et de cette horreur, s’avança au milieu de la salle ; il voulut prononcer devant ses collègues la harangue qu’il avait préparée toute chaude d’invocation à la liberté, pour expliquer le meurtre au sénat. Nul n’était plus là pour l’écouter. La consternation, l’effroi, la crainte d’être compromis par la présence seule dans un meurtre dont on ignorait le contre-coup sur le peuple, avaient fait déserter l’enceinte.