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CÉSAR.

Pharsale, Thapsus, Munda : vous y trouverez, dans les ossements de ces millions de républicains romains, l’histoire vraie de la vitalité obstinée de la république. César ne l’a pas ensevelie seulement, il l’a égorgée : voilà la vérité.

Sans doute elle était en décadence, mais qui peut dire ce que des hommes tels que César, Labiénus, Pompée, Caton, Brutus, Scipion, Cicéron, s’ils s’étaient ligués pour la réformer, la relever, la soutenir, auraient pu pour le salut de la liberté ? Qui peut le dire si César, au lieu de dévouer son génie à la détruire, avait consacré son ambition à la diriger ? Des hommes tels que César sont plus puissants qu’on ne le croit sur la destinée de leur pays : il y a des temps où un pays vit dans un homme. Que serait devenue l’Amérique si Washington avait manqué à sa vertu ? Il était plus aisé de ne pas opprimer Rome que de fonder l’Amérique libre.

Il y avait donc plus de vertu, de vitalité et d’énergie dans la république romaine quand César la corrompit et la tua qu’il n’en fallait à un homme de bien pour régénérer la liberté. Rome s’humiliait et se dégoûtait rapidement de César, quand Brutus raviva malheureusement sa popularité posthume par l’immense horreur de l’assassinat et par l’immense pitié d’un cadavre. Mort dans son lit et dans sa décadence, César eût été peut-être moins funeste au peuple romain. C’est son ombre longtemps que le peuple attendit et que les légions irritées voulurent surtout venger par Octave, son neveu : l’empire sortit des funérailles de César. Cet empire se ressentit toujours de son origine. Né d’une ligue entre la populace et la soldatesque, il avilit et il opprima jusqu’à sa fin.

Tel fut l’héritage de César, immense génie employé à agiter, à corrompre, à enchaîner son pays, grand général, habile démagogue, exécrable citoyen, brillant fléau de