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CICÉRON.

César, il ne faiblit pas devant la mort. Mais pour appuyer le levier de cette force d’âme qu’on lui demande, et pour soutenir seul la république contre César, il lui fallait un point d’appui dans la république. Il n’y en avait plus. Ce ne fut pas le levier qui manqua à Cicéron, ce fut le point d’appui. On peut plaindre le temps, mais non accuser le citoyen.

Aucune forme de gouvernement autant que la république romaine ne fut propre à former ces hommes complets, tels que nous venons de les définir dans le plus grand orateur de Rome. On n’avait pas inventé alors ces divisions de facultés et ces spécialités de professions qui décomposent un homme entier en fraction d’homme, et qui le rapetissent en le décomposant. On ne disait pas : Celui-ci est un citoyen civil, celui-la est un citoyen militaire, celui-ci est poëte, celui-ci est orateur, celui-ci est un avocat, celui-la est consul. On était tout cela à la fois, si la nature et la vocation vous avaient donné toutes ces aptitudes. On ne mutilait pas arbitrairement la nature, comme nous faisons si malheureusement aujourd’hui, au grand détriment de la grandeur de la patrie et de l’espèce humaine. On n’imposait pas à Dieu un maximum de facultés qu’il lui était défendu de dépasser quand il créait une intelligence plus universelle ou une âme plus grande que les autres. César plaidait, faisait des vers, écrivait l’Anti-Caton, conquérait les Gaules. Cicéron écrivait des poëmes, faisait des traités de rhétorique, défendait les causes au barreau, haranguait les citoyens à la tribune, discutait le gouvernement au sénat, percevait les tributs en Sicile, commandait les armées en Syrie, philosophait avec les hommes d’étude, et tenait école de littérature à Tusculum. Ce n’était pas la profession, c’était le génie qui faisait l’homme ; et l’homme alors était d’autant plus homme qu’il était plus universel : de là la grandeur de ces hommes multiples de l’antiquité.