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CICÉRON.

Quand, mieux inspirés, nous voudrons grandir comme elle, nous effacerons ces barrières jalouses et arbitraires que notre civilisation moderne place entre les facultés de la nature et les services qu’un même citoyen peut rendre sous diverses formes à sa patrie. Nous ne défendrons plus à un philosophe d’être un politique, à un magistrat d’être un héros, à un orateur d’être un soldat, à un poëte d’être un sage ou un citoyen. Nous ferons des hommes, et non plus des rouages humains. Le monde moderne en sera plus fort et plus beau, et plus conforme au plan de Dieu, qui n’a pas fait de l’homme un fragment, mais un ensemble.

Cicéron, tel que nous le retrouvons dans les portraits et dans les lettres de ses contemporains ou de lui-même, était de taille haute, telle qu’elle est nécessaire à un orateur qui parle devant le peuple, et qui a besoin de dominer de la tête ceux qu’il doit dominer de l’esprit. Ses traits étaient sévères, nobles, purs, élégants, éclairés par l’intelligence intérieure qui les avait pour ainsi dire façonnés à son image. Le front élevé, et poli comme une table de marbre destinée et recevoir et à effacer les mille impressions qui le traversaient ; le nez aquilin, très-resserré entre les yeux ; le regard à la fois recueilli en lui-même, ferme et assuré sans provocation quand il s’ouvrait et se répandait sur la foule ; la bouche fine, bien fendue des lèvres, sonore, passant aisément de la mélancolie des grandes préoccupations à la grâce d’étendue du sourire ; les joues creuses, pâles, amaigries par les contentions de l’étude et par les fatigues de la tribune aux harangues. Son attitude avait le calme du philosophe plutôt que l’agitation du tribun. Ce n’était pas une passion, c’était une pensée qui se posait et qui se dessinait en lui sous les yeux du peuple. On voyait qu’il aspirait à illuminer, non à égarer la foule. Toute l’autorité de la vertu publique, toute la majesté du peuple romain, se levaient avec lui quand il se levait pour prendre la parole.