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CICÉRON.

guerre altère de gloire, la gloire donne la popularité ; la popularité donne aux ambitieux la puissance politique. Le triomphe à Rome était devenu une institution ; cette institution donnait pour ainsi dire un corps à la renommée, et faisait des triomphateurs des candidats à la tyrannie.

Pour entretenir cette concurrence de triomphes et cette guerre universelle et perpétuelle, de grandes armées presque permanentes aussi étaient devenues nécessaires. De grandes armées permanentes sont l’institution la plus fatale à la liberté et au pouvoir tout moral des lois. Celles qui restaient rassemblées en légions dans les provinces conquises ou en Italie commençaient à élever leurs généraux au-dessus du sénat et du peuple, et à former pour ou contre ces généraux de grandes factions militaires, armées bien autrement dangereuses que les factions civiles. Celles qui étaient licenciées après qu’on leur avait partagé des terres formaient dans l’Italie même et dans les campagnes de Rome des noyaux de mécontents prêts à recourir aux armes, leur seul métier, et à donner des bandes ou des légions aux séditions politiques, aux tribuns démagogues ou aux généraux ambitieux. Le sénat et le peuple étaient donc tout prêts à être dominés et subjugués dans Rome même par la guerre et par la gloire qu’ils avaient destinées à subjuguer le monde. Ils avaient envoyé des tyrans au monde, et le monde vaincu leur renvoyait des tyrans domestiques. Déjà l’épée se jouait des lois ; déjà, sous un respect apparent pour l’autorité nominale du sénat, les généraux et les triomphateurs se marchandaient entre eux les charges, les consulats ; les gouvernants de provinces troquaient leurs légions ou se prêtaient leurs armées, pour se les rendre après le temps voulu par les lois. Rome n’était plus qu’une grande anarchie dominatrice du monde au dehors, mais où les citoyens avaient cédé la réalité de la souveraineté aux légions, où la constitution ne conser-