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CICÉRON.

son élévation : auprès du sénat, son aristocratie ; auprès de la multitude, sa popularité. Il avait besoin aussi, pour couvrir sa mauvaise renommée de jeunesse, de cette faveur passionnée de la plèbe, qui n’exige pas l’estime, pourvu qu’on caresse ses caprices et ses anarchies. Enfin il s’était déjà signalé dans la guerre, et particulièrement dans la guerre contre les pirates de Cilicie. Il aspirait à égaler les exploits de Pompée par la conquête des Gaules, afin de fonder sa vie sur quelque grande gloire conquise au peuple romain, de s’attacher une armée personnelle, et de revenir ensuite imiter Marius, Sylla, Pompée à Rome : car la liberté n’était déjà plus la perspective de personne, et la suprématie sur la république était le rêve et l’ambition de tous.

Pour parvenir au gouvernement des Gaules, objet actuel de ses desseins, César, qui savait flatter l’aristocratie aussi bien que complaire à la multitude, caressait en ce moment Pompée et Clodius. Il demandait à l’un les suffrages du sénat et des légions ; il demandait à l’autre les voix du peuple. Pour complaire à Clodius, il fallait lui livrer Cicéron, ce père de la patrie, qui avait sauvé la république des démagogues, que Clodius, leur chef, voulait venger. L’instant était bien choisi pour cette vengeance. Pompée et Crassus, autres hommes puissants sur le sénat, avaient intérêt à éloigner César, dont les intrigues et la popularité les gênaient à Rome. Ils lui concédaient les Gaules pour l’écarter des yeux et de l’oreille du peuple, qui commençait à trop le regarder et à trop l’écouter. Bien que Cicéron fût des amis de Pompée, Pompée, ami froid et négligent, un peu fatigué aussi de la trop éclatante renommée du sauveur de Rome, sacrifiait, momentanément au moins, Cicéron à César qui le redoutait, à Crassus qui le haïssait, à Clodius qui avait juré sa perte. Le grand intérêt que Pompée avait de complaire à César prévalait sur l’amitié.