Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 34.djvu/74

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
73
CICÉRON.

même, ayant abandonné, ceux-ci par impuissance, ceux-là par négligence, les autres par complaisance, tout le pouvoir dans Rome à Clodius, agitateur et flatteur du peuple, dont il était en même temps tribun, celui-ci remplit la ville de sa haine et de sa vengeance contre Cicéron. Il fit voter un plébiscité qui condamnait à l’exil quiconque aurait fait mourir un citoyen romain non condamné par le peuple. C’était la prescription anonyme de Cicéron ; il le comprit ; il essaya en vain de soulever en sa faveur l’indignation et l’énergie des bons citoyens ; il ne souleva que leur pitié et leur douleur. Rome était dans un de ces moments où chacun, pensant à sa propre sûreté, n’a ni le temps ni la liberté de s’intéresser au malheur d’autrui. L’ambition militaire de Pompée, de César et de Crassus, liguée avec l’anarchie populaire, livrait Rome à l’agitation, à la turbulence et aux crimes de Clodius. Peut-être même ces trois chefs de l’armée, tour à tour investis de la dictature ou aspirant à en être revêtus, se réjouissaient-ils en secret d’une licence et d’une démagogie de la multitude qui, en attestant dans Rome l’insuffisance des lois et la décadence de l’esprit civique, feraient sentir plus fortement aux citoyens la nécessité d’un pouvoir arbitraire, et serviraient d’avance d’excuse à la tyrannie.

Quoi qu’il en soit, ils fermaient volontairement les yeux sur les attentats de Clodius contre Cicéron. Crassus et César favorisaient ouvertement le tribun. Pompée lui-même, qui venait d’épouser, dans un âge déjà avancé, la belle fille de César, et qui était épris jusqu’à l’adoration de sa jeune épouse, ne pouvait décemment, disait-il, se déclarer pour celui que César condamnait. Pompée s’était retiré dans une de ses maisons de campagne pour y jouir en paix de son loisir et de son amour ; il y fermait son âme aux bruits de Rome. Cicéron étant venu le voir pour réclamer l’appui qu’il devait à son ancienne amitié, Pompée, embar-