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CICÉRON.

rassé de la présence d’un ami malheureux dont le malheur seul était pour lui un reproche d’ingratitude, s’évada par la porte de ses jardins pendant que Cicéron entrait par celle de son vestibule, et ordonna à ses affranchis de le chercher partout où l’on serait sur de ne pas le découvrir.

Cicéron, plus consterné de la faiblesse de Pompée que de sa propre ruine, revint à Rome, et, prenant des habits de deuil, il alla de porte en porte, suivi d’un cortége de parents, de clients et d’amis également vêtus de deuil, provoquer, par toutes ces marques d’abattement, la compassion de la ville qu’il avait sauvée, et solliciter, à la manière antique, les voix des citoyens pour sa cause. Le peuple le voyait passer avec émotion, plus éloquent dans son silence qu’il ne le fut jamais à la tribune. Clodius, redoutant l’effet de la pitié du peuple, ameuta contre le suppliant cette plèbe sans pitié et sans pudeur, qui regarde la dégradation du talent et de la vertu comme une victoire de la bassesse et de l’envie, et qui se réjouit de fouler aux pieds tout ce qui tombe. Suivi de cette tourbe armée et insolente, Clodius se trouvait partout sur les pas de Cicéron, attaquait son cortége, faisait déchirer les habits de ses clients, remplissait les rues de tumulte, de rixes, de meurtres, et, encourageant ses vils licteurs à martyriser le grand citoyen, le faisait assaillir d’injures, de sarcasmes, de boue et de pierres, et le forçait à rentrer souillé et sanglant dans sa maison. Les consuls, impuissants, lui conseillaient, au lieu de le défendre, de céder au temps, et de laisser passer l’orage en s’éloignant d’une patrie où son ennemi régnait seul. Le sénat, dont la cause de Cicéron était la cause, s’assemblait en vain pour le protéger. Les sénateurs, abandonnés à eux-mêmes par Pompée, Crassus et César, et assiégés dans le sénat par les satellites de Clodius, déchiraient leurs toges d’indignation, et attestaient, en se dispersant, l’impuissance des lois, la lâcheté des