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CICÉRON.

cheté de ses amis et de sa propre infortune, l’excès de la tyrannie populaire rappelait la pensée de Rome vers celui qui l’avait sauvée, par son éloquence et par son courage, de la nécessité des dictateurs ou de la honte des anarchies. Clodius, sans contre-poids, obligé d’enchérir chaque jour sur les démences et sur les excès de la veille, afin de rester à la tête de la populace, à laquelle on ne peut complaire qu’en lui cédant, commençait à fatiguer la licence elle-même, et à inquiéter Pompée non-seulement sur sa puissance, mais sur sa vie. Il menaçait également César jusqu’au sein de son armée des Gaules. César, Pompée, le sénat, les patriciens opprimés, les plébéiens vertueux, se liguèrent sourdement pour inspirer au peuple l’horreur de Clodius et le rappel de Cicéron, le seul homme qu’ils pussent opposer, à la tribune aux harangues, à la popularité perverse du tribun.

Un homme intrépide, client de Cicéron, tribun lui-même, nommé Fabricius, osa proposer ce rappel au peuple du haut de la tribune. Clodius, qui s’attendait à cette tentative des amis de Cicéron, et qui avait rempli le Forum de ses partisans, de ses gladiateurs et de ses sicaires, craignant l’estime et l’amour du peuple pour le grand proscrit, donna le signal du meurtre à ses assassins, précipita Fabricius de la tribune, dispersa le cortège des amis de Cicéron, et couvrit de cadavres la place publique. Le frère de Cicéron, blessé lui-même par le fer des gladiateurs de Clodius, n’échappa à la mort qu’en se cachant sous les corps amoncelés sur les marches de la tribune. Sextius, un des tribuns, fut immolé en résistant aux fureurs de son collègue. Clodius, vainqueur, ou plutôt assassin de Rome, courut, la torche à la main, brûler le temple des Nymphes, dépôt des registres publics, afin d’anéantir jusqu’aux rouages mêmes du gouvernement. À la lueur de l’incendie, il alla attaquer la maison du tribun Milon et du pré-