Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 34.djvu/79

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
78
CICÉRON.

fautes que j’ai été abîmé dans un telle ruine !… Vous me parlez, dans votre dernière lettre, de l’image que l’affranchi de Crassus vous a faite de mon désespoir et de ma maigreur… Hélas ! chaque jour qui se lève accroît ces maux, au lieu de les soulager. Le temps diminue le sentiment des autres malheurs ; mais les miens sont de telle nature, qu’ils s’aggravent continuellement par le sentiment de la misère présente comparée avec la félicité perdue !… Pourquoi un seul de mes amis ne m’a-t-il pas mieux conseillé ? Pourquoi me suis-je laissé glacer le cœur par cette froideur de Pompée ? Pourquoi ai-je pris une résolution et une attitude de coupable suppliant, indignes de moi ? Pourquoi n’ai-je pas affronté ma fortune ? Si je l’avais fait, ou je serais mort glorieusement à Rome, ou je jouirais maintenant du fruit de ma victoire !… Mais pardonnez-moi ces reproches, ils doivent tomber sur moi plus que sur vous ; et si je parais vous accuser avec moi, c’est moins pour n’excuser moi-même que pour me rendre ces fautes plus pardonnables en y associant un autre moi-même.

» … Non, je n’irai point en Asie, parce que je fuis les lieux où je puis rencontrer des Romains et où ma célébrité, autrefois ma gloire, me poursuit maintenant comme une honte !… Et puis je ne voudrais pas m’éloigner davantage, de peur que si, par hasard, il arrivait quelque changement inespéré à ma fortune du côté de Rome, je ne fusse trop longtemps à l’ignorer. J’ai donc résolu d’aller me réfugier dans votre maison en Épire, non pas à cause de l’agrément du séjour, bien indifférent à un malheureux qui fuit même la lumière du jour, mais pour être, dans ce port que vous m’offrez, plus prompt à repartir pour ma patrie, si jamais elle m’était rouverte, pour y recueillir ma misérable existence dans une solitude qui me la fera supporter plus tolérablement, ou, ce qui vaudrait mieux encore, qui m’aidera à dépouiller plus courageusement la vie. Oui, je dois écouter encore les supplications de la plus tendre et de la plus adorée des filles !… Mais, avant peu, ou l’Épire m’ouvrira le chemin du retour dans ma patrie, ou je m’ouvrirai à moi-même le chemin de la vraie délivrance !… Je vous recommande mon frère, ma femme, ma fille, mon fils ; mon fils, à qui je ne laisserai pour héritage qu’un nom flétri et ignominieux !… »

Mais au moment où Cicéron se préparait à mourir, pour se punir lui-même du crime de ses ennemis, de la lâ-