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CICÉRON.

saires s’étaient injuriés, puis attaqués. Milon, s’élançant de sa litière, où il était sans armes et sans préméditation avec sa femme, avait saisi une arme pour sa défense et avait tué Clodius dans la mêlée. Le corps sanglant du favori de la multitude, rapporté à Rome et étendu sur la tribune aux harangues, avait été brûlé par ses partisans sur un bûcher dont les flammes, attisées par ses vengeurs, s’étaient communiquées au temple voisin et au palais du sénat, et les avaient réduits en cendres ; funérailles dignes d’un tribun incendiaire de sa patrie. Pompée, nommé consul, avait rempli de soldats en armes la place publique, et le peuple allait juger Milon. Cicéron le défendit dans une harangue souvent interrompue par le bruit des armes, mais qu’il rétablit après la séance dans toute la force et dans toute la splendeur de son improvisation.

« J’ai justifié complètement Milon du meurtre prémédité dont on l’accuse, dit-il en finissant. Mais si je ne l’avais pas justifié, ne pourrait-il pas se justifier également du meurtre qu’il aurait commis, se lever et vous dire : « Romains, j’ai tué ! j’ai tué non pas Mélius, qui fut soupçonné d’aspirer à la royauté, parce qu’il semblait, en abaissant le prix du blé aux dépens de sa fortune, rechercher avec trop de soin la faveur de la multitude ; non pas Tibérius Gracchus, qui excita une sédition pour destituer son collègue : ceux qui leur ont donné la mort ont rempli le monde entier de la gloire de leur nom. Mais j’ai tué l’homme que nos Romains les plus illustres ont surpris en adultère sur les autels les plus sacrés ; l’homme dont le supplice pouvait seul, au jugement du sénat, expier nos mystères profanés ; l’homme que Lucullus a déclaré, sous la foi du serment, coupable d’un inceste avec sa propre sœur. J’ai tué le factieux qui, secondé par des esclaves armés, chassa de Rome un citoyen que le sénat, que le peuple romain, que toutes les nations regardaient