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BOSSUET.

On retrouve ce fatalisme politique dans le portrait de Cromwell, en qui Bossuet, à l’exemple de son temps, ne voyait qu’un hypocrite. Il n’osait ni trop le louer, de peur de manquer au cercueil de cette reine, sa victime ; ni trop le flétrir, de peur de manquer au roi, qui avait traité avec ce dictateur. Il se jeta dans la théocratie, qui explique, qui excuse, qui légitime tout sur ses lèvres, et il s’écria avec le despotisme du prophète : « Quand Dieu a choisi quelqu’un pour être l’instrument de ses desseins, rien n’en arrête le cours ; il enchaîne, il aveugle, il dompte tout ce qui est capable de résistance. »

C’est de ce portrait de Cromwell, c’est de cette complicité sophistique de la Providence avec la victoire, que les théocraties modernes, M. de Maistre et ses adeptes, ont déduit cette adoration immorale de la force, impiété soi-disant pieuse, qui prosterne l’homme devant le succès au lieu de le redresser sur la justice. Ces interprètes menteurs de la Providence placent le dessein de Dieu dans l’événement, au lieu de le placer dans la moralité de l’acte. Voilà le danger, pour un homme supérieur comme Bossuet, de lancer une fausse maxime dans le monde : les hommes secondaires s’en font une autorité, et les peuples s’en font une fausse règle de leurs jugements. C’est ainsi que la théocratie détruirait au nom de Dieu son plus bel ouvrage, la conscience du bien et du mal dans le genre humain.

Ce discours, dans sa partie pathétique, déborde, du reste, de majesté, de douleurs, d’exclamations, d’éplorations sublimes. Bossuet semble faire son propre portrait en y parlant de ce poëte funèbre, Jérémie, « qui seul était capable, dit-il, d’égaler les lamentations aux calamités ! »

Un cri d’admiration s’éleva de toute la cour et de toute l’Église à ce discours. Aucun moderne n’avait encore parlé