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BOSSUET.

en prophète. On conjura Bossuet de publier ce chef-d’œuvre : l’Europe s’émut et pleura.

Six jours après, une jeune et séduisante princesse, fille de celle que Bossuet venait d’illustrer et de l’infortuné Charles Ier, rappela l’orateur à un autre cercueil : c’était le cercueil de cette princesse elle-même. Henriette d’Angleterre avait épousé le duc d’Orléans, frère du roi. Ce prince, ignoble d’esprit et dépravé de goûts, était indigne d’apprécier tant de grâce sous des traits de femme. Il avait les vices des Valois. Henriette mourut soudainement à Saint-Cloud, sans preuve mais non sans rumeur de poison. On accusait les complices des goûts dépravés du duc d’Orléans d’avoir versé la mort dans le sein de son épouse, pour dominer sans rivale les sens et le cœur de ce prince. Le roi avait pour Henriette d’Angleterre une de ces prédilections que la parenté seule empêchait d’être un amour. Cette passion contenue avait dégénéré en tendresse. La mort de la duchesse d’Orléans frappa le roi au cœur : elle était le rayon de la cour ; la lumière du firmament semblait s’être amoindrie par la disparition de cet astre éteint dans une nuit. Bossuet l’aimait pour son esprit et pour ses malheurs. Elle admirait Bossuet comme le miracle vivant de l’Europe. Elle lui avait souvent dit, en badinant avec des idées tristes : « Si je meurs, parlez de moi à Dieu et aux hommes ; je ne veux d’éloges que votre amitié et d’apothéose que vos larmes ! »

Le roi fit prier Bossuet de parler. Son cœur était aussi ému que sa voix. Ce fut le plus éploré de ses discours. L’antiquité ne nous a rien laissé d’un pareil accent. « Je vais vous faire voir, chrétiens, dit-il, dans une seule mort, la mort et le néant de toutes les grandeurs humaines ! »

Pour être émouvant, Bossuet n’avait rien à imaginer, il n’avait qu’à se souvenir. Henriette, se sentant mourir, l’avait appelé à cris répétés pour lui prêter sa main dans le