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NELSON.

l’élément. Mais le cœur, qui suffit au combattant de terre, ne suffit pas au combattant de mer ; toutes les qualités de l’intelligence et du caractère sont aussi nécessaires que la bravoure au chef qui gouverne la manœuvre ou le feu sur le pont d’un vaisseau de guerre ou sur le pont d’un vaisseau amiral. La science, pour lire sa route dans les astres ; la vigilance, pour préserver ses bâtiments des vents et des écueils ; la connaissance et le maniement sur et prompt des agrès qui font mouvoir comme un clavier cette immense machine presque animée qu’on appelle un vaisseau de guerre ; l’ardeur, pour voler au feu à travers la tempête, à la mort à travers une autre mort ; le sang-froid, pour conserver le coup d’œil qui porte ou qui pare le coup ; le dévouement qui s’exalte par la certitude de périr, et qui se jette au foyer du feu et du plomb pour brûler son propre pont sous ses pieds et pour sacrifier un navire à la flotte ; l’autorité du commandant, qui fait reconnaître et respecter le salut de tous dans la voix d’un seul ; la décision, qui agit avant de délibérer avec la sûreté et l’infaillibilité d’un instinct ; l’obéissance, qui plie le sens propre et souvent contraire à la sainteté aveugle du commandement supérieur ; la discipline, qui vit de justice, et qui frappe sur ce qu’elle excuse, pour montrer à tous l’égalité de la règle ; la sérénité du visage dans l’angoisse du cœur, pour faire lire la confiance dans les yeux du chef ; la grâce mâle et digne du caractère, pour conserver dans la familiarité du bond ce prestige que les généraux de terre conservent par le lointain, et que les généraux de mer ont à préserver face à face sur des équipages qui les coudoient à toute heure ; l’audace prudente de ces responsabilités imprévues à prendre sur soi, à la distance où l’on est de son gouvernement, responsabilités qui assument sur une manœuvre et sur un nom le sort d’un empire ; les désastres si inattendus, les nuits qui séparent les bâtiments, les tem-