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MADAME DE SÉVIGNÉ.

Dieu les jette comme il jette des échos dans le secret des forêts et des autres ; on ne les voit pas jet on les entend jusqu’à ce que le bûcheron ait renversé les arbres, ou que le temps ait réduit le roc en poussière. Ces âmes communicatives, véhicules des impressions et des retentissements de leur propre cœur ou des bruits de leur siècle, s’interposent puissamment par leur nature émue et vibrante entre le monde et nous, et nous forcent à penser et à sentir en elles et par elles, quand nous voudrions en vain leur échapper. Elles sont l’élément sensible, le milieu sympathique (pour nous servir d’un terme matériel) à travers lequel nous percevons tout, le présent, le passé, et souvent nous-mêmes. Aussi qu’arrive-t-il dans les jeux de la réputation et de la gloire littéraire ? Il arrive que des êtres inaperçus de leurs contemporains, des hommes cachés, des femmes obscures, quelquefois des âmes anonymes, comme l’auteur de l’Imitation de Jésus-Christ, sont en réalité plus grands et plus immortels que tout leur siècle, et que, pendant que les hommes qui remuent à grandes brassées les choses humaines, qui bouleversent les empires, qui manient les sceptres, qui agitent les assemblées, qui administrent les affaires publiques, qui font l’histoire ou qui l’écrivent, s’efforcent de créer un grand bruit permanent après eux autour de leur nom, ces hommes sont supplantés dans la gloire par quelqu’un qu’ils n’avaient pas même aperçu sous leurs pieds dans la foule, par un pauvre rêveur comme saint Augustin, par un pauvre moine comme l’anonyme de l’Imitation, par un pauvre horloger comme Jean-Jacques Rousseau, ou par une pauvre femme comme madame de Sévigné. La postérité sait à peine le nom des prétendus grands politiques, grands poëtes, grands orateurs, grands écrivains, qui monopolisaient la renommée du temps, et elle écoute après des siècles les plus secrètes palpitations du cœur de ces êtres ignorés, comme si ces