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deuxième époque.

J’arrive au pied des monts ; je traverse à la nage
Des torrents, dont le flot me jette à l’autre plage.
Un chasseur me découvre à la voix de ses chiens :
Il change par pitié ses habits pour les miens.
Je commence à gravir ces gradins de collines
Où les Alpes du Nord enfoncent leurs racines,
Immense piédestal par sa masse abaissé,
Qui sous le poids des monts semble s’être affaissé,
Et dans l’encaissement des roches éboulées
Cache les lacs profonds et les noires vallées.
Je remonte le cours de leurs mille ruisseaux
Qui passent en lançant leur fumée au lieu d’eaux ;
J’avance en frissonnant sous l’arche des cascades ;
Les pins m’ouvrent plus loin leurs hautes colonnades,
Je les franchis ; j’arrive à ces prés suspendus
Sur la croupe des monts, verts tapis étendus,
Où les chalets, des bois bordent les précipices.
Un vieux pâtre y gardait un troupeau de génisses :
Les yeux vers le soleil couchant, entre ses doigts
Il roulait, sans me voir, un rosaire de bois.
Cet aspect rend l’audace à mon âme attendrie :
Je suis sûr d’un ami dans tout homme qui prie.
Je l’aborde soudain, sans crainte, au nom de Dieu ;
Il se trouble en voyant un vivant en ce lieu :
Il croit voir un coupable en moi. Je le rassure ;
Il écoute en pleurant ma touchante aventure,
Étend la feuille morte en lit sous le chalet,
Et partage avec moi son pain noir et son lait.

Le lendemain matin, il dit : « Soyez en joie :
» Je ne renverrai pas celui que Dieu m’envoie.
» Voyageant suivant l’herbe et suivant la saison,
» Mes vaches ont fini de paître ce gazon ;