Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 4.djvu/129

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
128
jocelyn.

De la grotte des Aigles, au sommet des Alpes
du Dauphiné, 15 avril 1793.

          Gravons au moins, pour ma mémoire,
De ces deux mois si pleins l’épouvantable histoire.


Le peuple, soulevé sur la foi d’un faux bruit,
Force le seuil sacré, nous frappe, et nous poursuit ;
Il s’enivre de vin dans l’or des saints calices,
Hurle en dérision les chants des sacrifices,
Et, comme s’il n’osait vierge encor le frapper,
Il viole l’autel avant de le saper.
Les prêtres, n’élevant contre eux que la prière,
Sont par leurs cheveux blancs traînés dans la poussière ;
Les uns de leur vieux sang teignent ces chers pavés,
Au couteau solennel d’autres sont réservés ;
Quelques-uns comme moi, sauvés par leur jeunesse,
Par un front de vingt ans dont la grâce intéresse,
S’échappent dispersés sous les coups de fusil,
Et vont chercher plus loin le supplice ou l’exil.
Une femme me prend par la main dans le nombre,
Me guide hors des murs à la faveur de l’ombre,
Me montre ces sommets brillant dans le lointain,
Et me dit : « Mon enfant, fuyez ; voici du pain. »
Je fuis pendant sept nuits à travers les campagnes,
En dirigeant toujours mes pas sur les montagnes.
Le jour pour sommeiller me couchant sous les blés,
La nuit loin des sentiers hâtant mes pas troublés,