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quatrième époque.

La biche qui la nuit au bord de ses pieds couche,
De peur de l’éveiller, n’osa quitter sa couche,
Et, d’un œil inquiet me regardant sortir,
Comme un pressentiment paraissait m’avertir.
Je sortis. La montagne éblouit ma paupière :
Tout l’horizon glacé rayonnait de lumière,
De chaque atome d’air une lueur sortait.
Je tentai quelques pas ; la neige me portait,
Et craquait sous mes pieds comme un morceau de verre
Qu’on trouve sous ses pas et qu’on écrase à terre.
Je frémis de plaisir, et m’élançai plus loin :
De mouvement et d’air mes sens avaient besoin ;
Je courus jusqu’au pont formé par l’avalanche ;
Je franchis le ravin sur cette croûte blanche
Dont la voûte tremblait et grondait sous mes pas,
Et me cachait les eaux qui mugissaient plus bas.
Je voulus profiter de cette arche gelée
Pour descendre en deux bonds jusque dans la vallée,
Et voir si le berger ne serait pas venu
Apporter quelque chose au dépôt convenu.
Je n’y trouvai qu’un mot : « Gardez-vous de descendre ! »
Mot que sa charité d’en bas faisait entendre.
Je remontai bien vite, et déjà du matin
Le ciel s’était sali comme un dôme d’étain ;
Il éteignait le jour qui s’efforçait d’éclore,
Et ramenait la nuit une heure après l’aurore :
Le vent, que les brouillards paraissaient renfermer,
En remuait les flots comme une lourde mer ;
Il éclatait parfois dans le choc des orages
Comme un coup de canon tiré dans les nuages ;
Mais, quoique encor bien haut il parût retentir,
La montagne en travail semblait le pressentir,
Et ses vastes rameaux de granit et de marbre
Craquaient et se tordaient comme les bras d’un arbre.