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quatrième époque.

Là, le sein sans haleine et le front sans pensée,
Comme une feuille morte au rameau balancée,
J’attendais que la neige, entassant pli sur pli,
M’eût du linceul glacé, vivant, enseveli.
Je voyais, de ma niche, au souffle des rafales,
Se dérouler au loin les lames colossales,
Creuser de hauts sillons qui croulaient sur leurs flancs,
Surmonter leurs sommets par d’autres sommets blancs,
Se heurter, se briser, s’enfoncer en silence,
Jusqu’au ciel obscurci jaillir en gerbe immense,
Tournoyer en nuage et tomber. Chaque fois
Que la vague en pleuvant m’enfonçait sous son poids,
Pour m’arracher du gouffre et revoir la lumière,
Sous mes pieds, sous mes mains j’écrasais la poussière,
Et, retardant ainsi l’instant, l’instant fatal,
Dressais contre la roche un nouveau piédestal.
Oh ! quand une lueur me rendait l’espérance,
Que je bénissais Dieu d’être là sans Laurence ;
De savoir cet enfant sous la grotte endormi,
À l’abri de la mort où luttait son ami !
Je ne me doutais pas qu’à ce péril suprême
Sa tendresse pour moi l’avait jeté lui-même.
Pourtant, dans ce chaos de bruit, de mouvements,
À travers le roulis, les coups, les sifflements,
Au milieu d’une pause et d’un affreux silence,
Deux fois je crus entendre, éteints par la distance,
Parmi les cris du vent des cris aigus courir,
Mon nom inachevé dans des sanglots mourir.
Mon cœur avait frémi… Mais c’était impossible !
L’ange même de Dieu, dans la mêlée horrible
De la neige et du vent luttant pour l’entasser,
Sur des ailes de feu n’eût pas osé passer !
Je ne sais pas combien dura cette agonie :
Quand la mort la mesure, une heure est infinie ;