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introduction.

se débat fièrement contre la réalité qui l’oppresse, appelant, quand il le faut, le Christ à son secours, et de temps à autre retournant sur les bords de l’Anio, revenant à ses paysages favoris, tendant la main à l’Elvire inconnue, ou bien se rappelant son enfance, son heureuse enfance à l’ombre sainte de sa mère, bel âge d’or sur lequel il répand les larmes les plus charmantes. Son cœur est tiède encore, et cependant il est triste : autour de lui flottent, comme toujours, les cent mille harmonies qui l’arrêtent au passage ; il remonte d’un vol léger les jours, les mois, les années ; il revoit le vieillard, la maison, le jardin, la prairie, la treille chargée de fruits, l’orme chargé d’ombrage, le verger aux mille couleurs ; il se rappelle son doux sommeil au bord de la fontaine, et les songes qui effleuraient son jeune front de leurs blanches ailes, et ces lectures, et ces rêveries, et les vieux livres, et les moissons jaunissantes ; et plus loin, sous les cyprès, cette tombe respectée, soixante ans de bienfaisance et de vertus qui dorment là. Voilà comment, après avoir parcouru tous les sentiers du monde, le poëte revient à son point de départ avant que de se remettre en route. Et le moyen de n’être pas touché d’un pèlerinage dans lequel se rencontrent de pareils repos ?

Arrive alors, au beau milieu du retentissement des Harmonies poétiques, ces beaux vers que l’auteur adressait surtout aux âmes méditatives que la solitude et la contemplation élèvent invinciblement vers les idées infinies, c’est-à-dire la religion, une révolution subite, immense, incroyable ; une révolution qui n’a duré que trois jours ; et cependant ces trois jours de vingt-quatre heures de tempête ont suffi à séparer, de la façon la plus tranchée, la Restauration de tout ce qui l’entoure. Il se fait tout aussitôt un grand abîme autour de ces quinze années de prospérité, de gloire, de poésie, de croyance. Les âmes les plus intelli-