Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/360

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aussi, le vent soulève ce nuage de poudre qui cache la route et le but, et ceux qui sont sur la hauteur distinguent la marche des colonnes, reconnaissent le terrain de l’avenir, et voient le jour, à peine levé, éclairer de vastes horizons. J’entends dire sans cesse autour de moi, et même ici : « Les hommes n’ont plus de croyances ; tout est livré à la raison individuelle ; il n’y a plus de foi commune en rien, ni en religion, ni en politique, ni en sociabilité. Des croyances, une foi commune, c’est le ressort des nations ; ce ressort brisé, tout se décompose ; il n’y a qu’un moyen de sauver les peuples : c’est de leur rendre leurs croyances. »

Mais est-il donc vrai qu’il n’y ait plus ni lumière dans l’intelligence de l’homme, ni croyance commune dans l’esprit des peuples, ni foi intime et insignifiante dans la conscience du genre humain ? C’est un mot qu’on respecte sans l’avoir sondé ; il n’a aucun sens. Si le monde n’avait plus ni idée commune, ni foi, ni croyance, le monde ne s’agiterait pas tant : rien ne produit rien, mens agitat molem. Il y a, au contraire, une immense conviction, une foi fanatique, une espérance confuse, mais indéfinie, un ardent amour, un symbole commun, quoique non encore rédigé, qui pousse, presse, remue, attire, condense, fait graviter ensemble toutes les intelligences, toutes les consciences, toutes les forces morales de cette époque : ces révolutions, ces secousses, ces chutes d’empire, ces mouvements répétés et gigantesques de tous ces membres de la vieille Europe, ces retentissements en Amérique et en Asie, cette impulsion irréfléchie et irrésistible qui imprime, en dépit des volontés individuelles, tant d’agitation et d’ensemble aux forces collectives ; tout cela n’est pas un effet sans cause ; tout cela a