Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/359

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De loin on voit mieux les choses, parce que les détails n’obstruent pas le regard, et que les objets se présentent par grandes masses principales. Voilà pourquoi les prophètes et les oracles vivaient seuls et éloignés du monde ; c’étaient des sages, étudiant les choses dans leur ensemble, et dont les petites passions du jour ne troublaient pas le jugement. Il faut qu’un homme politique s’éloigne souvent de la scène où se joue le drame de son temps, s’il veut le juger et en prévoir le dénoûment. Prédire est impossible : la prévision n’est qu’à Dieu ; mais prévoir est possible : la prévoyance est à l’homme.

Je me demande souvent où aboutira ce grand mouvement des esprits et des faits, qui, parti de France, remue le monde, et entraîne, de gré ou de force, toutes choses dans son tourbillon. Je ne suis pas de ceux qui ne voient dans ce mouvement que le mouvement même, c’est-à-dire le tumulte et le désordre des idées ; qui croient le monde moral et politique dans ces convulsions finales qui précèdent la mort et la décomposition. Ceci est évidemment un mouvement double de décomposition et d’organisation à la fois ; l’esprit créateur travaille, à mesure que l’esprit destructeur détruit ; une foi en tout remplace l’autre ; une forme se substitue à une autre forme ; partout où le passé s’écroule, l’avenir, tout préparé, paraît derrière les ruines ; la transition est lente et rude, comme toute transition où les passions et les intérêts des hommes ont à combattre en marchant, où les classes sociales, où les nations diverses marchent d’un pas inégal ; où quelques-uns veulent reculer obstinément, pendant que la masse avance. Il y a confusion, poussière, ruines, obscurité par moments ; mais, de temps en temps