Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/367

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monceaux de morts ; des janissaires avaient entendu un Grec magnifiquement vêtu, et luttant avec l’agonie, s’écrier : « Ne se trouvera-t-il pas un chrétien qui veuille m’ôter la vie ? » Ils lui avaient coupé la tête. Deux aigles brodés en or sur ses brodequins, et les larmes de quelques Grecs fidèles, ne permirent pas de douter que ce soldat inconnu ne fût le brave et malheureux Constantin. Sa tête fut exposée, pour que les vaincus ne conservassent ni doute sur sa mort ni espérance de le voir reparaître ; puis il fut enseveli avec les honneurs dus au trône, à l’héroïsme et à la mort.

Mahomet n’abusa pas de la victoire. La tolérance religieuse se révéla dans ses premiers actes. Il laissa aux chrétiens leurs églises et la liberté de leur culte public. Il maintint le patriarche grec dans ses fonctions. Lui-même, assis sur son trône, remit la crosse et le bâton pastoral au moine Gennadius, et lui donna un cheval richement caparaçonné. Les Grecs fugitifs se sauvèrent en Italie, et y portèrent le goût des disputes théologiques, de la philosophie et des lettres. Le flambeau éteint à Constantinople jeta ses étincelles au delà de la Méditerranée, et se ralluma à Florence et à Rome. Pendant trente ans d’un règne qui ne fut qu’une conquête, Mahomet II ajouta à l’empire deux cents villes et douze royaumes. Il meurt au milieu de ses triomphes, et reçoit le nom de Mahomet le Grand. Sa mémoire plane encore sur les dernières années du peuple qu’il a jeté en Europe, et qui bientôt remportera son tombeau en Asie. Ce prince avait le teint d’un Tartare, le visage poli, les yeux enfoncés, le regard profond et perçant. Il eut toujours toutes les vertus et tous les crimes que la politique lui commanda.