Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/368

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Bajazet II, ce Louis XI des Ottomans, fait jeter ses fils dans la mer ; et lui-même, chassé du trône par Sélim, s’enfuit avec ses femmes et ses trésors, et meurt du poison préparé par son fils. Ce Sélim, pour toute réponse au vizir qui lui demandait où il fallait placer ses tentes, fait étrangler le vizir ; le successeur du vizir fait la même question et éprouve le même sort ; un troisième fait placer les tentes, sans rien demander, vers les quatre points de l’univers ; et quand Sélim demande où est son camp : « Partout, lui répond le vizir. Tes soldats te suivront, de quelque côté que tu tournes tes armes. — Voilà, dit le terrible sultan, comment on doit me servir. » C’est lui qui conquiert l’Égypte, et qui, monté sur un trône magnifique élevé au bord du Nil, se fait amener la race entière des oppresseurs de ce beau pays, et fait massacrer vingt mille mameluks sous ses yeux : leurs corps sont jetés dans le fleuve. Tout cela sans cruauté personnelle, mais par ce sentiment de fatalisme qui croit à sa mission, et qui, pour accomplir la volonté de Dieu, dont il se croit l’instrument, regarde le monde comme sa conquête et les hommes comme la poussière de ses pieds. Cette même main, teinte du sang de tant de milliers d’hommes, écrivait des vers pleins de résignation, de douceur et de philosophie. Le morceau de marbre blanc subsiste encore où il écrivit ces sentences :

« Tout vient de Dieu ; il nous donne à son gré ou nous refuse ce que nous lui demandons. Si quelqu’un sur la terre pouvait quelque chose par soi-même, il serait égal à Dieu. » On lit plus bas : « Sélim, le serviteur des pauvres, a composé et écrit ces vers. » Conquérant de la Perse, il meurt en commandant à son vizir de pieuses restitutions aux familles