Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/450

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un profond ravin, sont entourées de jolis vergers et de prairies ; toutes les montagnes sont cultivées à leur base, et couvertes de belles forêts sur leurs croupes ; les cimes sont de rochers. Ces maisonnettes bulgares sont bâties en claie, et couvertes de branches d’arbres avec leurs feuilles ; nous en occupons sept à huit, et nos moukres, Tartares et cavaliers, bivaquent dans les vergers ; chaque maison n’a qu’une chambre, et la terre nue sert de plancher. Je prends la fièvre et une inflammation de sang, suite de chagrin et de fatigue ; je passe vingt jours couché sur une natte dans cette misérable chaumière sans fenêtre, entre la vie et la mort. Admirable dévouement de ma femme, qui passe quinze jours et quinze nuits sans fermer les yeux, à côté de mon lit de paille ; elle envoie dans les marais de la plaine chercher des sangsues ; les Bulgares finissent par en découvrir ; soixante sangsues sur la poitrine et sur les tempes diminuent le danger. Je sens mon état ; je pense nuit et jour à ma femme abandonnée, si je venais à mourir à quatre cents lieues de toute consolation, dans les montagnes de la Macédoine : heures affreuses ! Je fais appeler M. de Capmas et lui donne mes dernières instructions en cas de ma mort ; je le prie de me faire ensevelir sous un arbre que j’ai vu en arrivant au bord de la route, avec un seul mot écrit sur la pierre, ce mot au-dessus de toutes les consolations : — Dieu. — Le sixième jour de la fièvre, le péril déjà passé, nous entendons un bruit de chevaux et d’armes dans la cour ; plusieurs cavaliers descendent de cheval ; c’est le jeune et aimable Grec de Philippopoli, M. Mauridès, avec un jeune médecin macédonien, et plusieurs serviteurs déchargeant des chevaux chargés de provisions, de meubles, de médicaments. Un Tartare, qui traversait le Balkan pour aller à Andrinople,