Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/46

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cortége de Turcs, d’Arabes, d’Arméniens, de Juifs, accompagnait le mort et défilait en chantant entre les troncs d’oliviers, puis rentrait à pas lents et silencieusement dans la ville. Plus souvent les morts étaient seuls ; et quand les deux esclaves avaient creusé de quelques palmes le sable ou la terre de la colline, et couché le pestiféré dans son dernier lit, ils s’asseyaient sur le tertre même qu’ils venaient d’élever, se partageaient les vêtements du mort, et, allumant leurs longues pipes, ils fumaient en silence, et regardaient la fumée de leurs chibouks monter en légère colonne bleue, et se perdre gracieusement dans l’air limpide, vif et transparent de ces journées d’automne.

À mes pieds, la vallée de Josaphat s’étendait comme un vaste sépulcre ; le Cédron tari la sillonnait d’une déchirure blanchâtre, toute semée de gros cailloux, et les flancs des deux collines qui la cernent étaient tout blancs de tombes et de turbans sculptés, monument banal des Osmanlis : un peu sur la droite, la colline des Oliviers s’affaissait, et laissait, entre les chaînes éparses des cônes volcaniques des montagnes nues de Jéricho et de Saint-Saba, l’horizon s’étendre et se prolonger, comme une avenue lumineuse, entre des cimes de cyprès inégaux : le regard s’y jetait de lui-même, attiré par l’éclat azuré et plombé de la mer Morte, qui luisait aux pieds des degrés de ces montagnes ; et derrière, la chaîne bleue des montagnes de l’Arabie Pétrée bornait l’horizon. Mais borner n’est pas le mot, car ces montagnes semblaient transparentes comme le cristal, et l’on voyait ou l’on croyait voir au delà un horizon vague et indéfini s’étendre encore, et nager dans les vapeurs ambiantes d’un air teint de pourpre et d’azur.