Page:Lamartine - Œuvres complètes de Lamartine, tome 7.djvu/63

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entraînaient en fuyant des membres d’hommes mal ensevelis, les autres des jambes de chevaux où la peau tenait encore ; quelques aigles posés sur des têtes osseuses de chameaux s’élevaient à notre approche avec des cris de colère, et revenaient planer, même à nos coups de fusil, sur leur horrible proie. Les hautes herbes, les joncs, les arbustes du rivage, étaient également jonchés de ces débris d’hommes ou d’animaux. Tout n’était pas le reste de la guerre. Le typhus, qui ravageait Acre depuis plusieurs mois, achevait ce que les armes avaient épargné ; il restait à peine douze à quinze cents hommes dans une ville de douze à quinze mille âmes, et chaque jour on jetait hors des murs ou dans la mer les cadavres nouveaux, que la mer rejetait au fond du golfe, ou que les chacals déterraient dans les champs.

Nous arrivâmes jusqu’à la porte orientale de cette malheureuse ville. L’air n’était plus respirable ; nous n’entrâmes pas, mais tournant à droite, le long des murs écroulés où travaillaient quelques esclaves, nous traversâmes le champ de bataille dans toute son étendue, depuis les murs de la ville jusqu’à la maison de campagne des anciens pachas d’Acre, bâtie au milieu de la plaine, à une ou deux heures du bord de la mer. En approchant de cette maison de magnifique apparence, et flanquée de kiosques élégants d’architecture indienne, nous vîmes de longs sillons un peu plus élevés que ceux que la charrue trace dans nos fortes terres. Ces sillons pouvaient avoir une demi-lieue de long sur à peu près autant de large ; le dos du sillon s’élevait à un ou deux pieds au-dessus du sol : c’était la place du camp d’Ibrahim, et la tombe de quinze mille hommes qu’il avait fait ensevelir dans ces tranchées sépul-