tourner vers l’Orient, les provinces d’Europe vers l’Occident : elles sont attirées vers Constantinople.
Entre les deux péninsules, elle se trouve placée comme un germe vivace
entre deux cotylédons : ces éléments si disparates des provinces d’Asie
et de celles d’Europe, elle se les assimile, elle les élabore et les
transforme. Dans son sein accourent d’Occident des aventuriers dalmates,
grecs, thraces, slaves, italiens ; d’Orient des aventuriers isauriens,
phrygiens, arméniens, caucasiens, arabes : en peu de temps elle en fait
des Grecs. Ils oublient leurs idiomes barbares pour la langue polie de
Byzance ; leurs superstitions odiniques, helléniques, musulmanes, font
place à une ardente et raffinée orthodoxie. Byzance les reçoit incultes
et sauvages ; elle les rend à l’immense circulation de l’Europe lettrés,
savants, théologiens, habiles administrateurs, souples fonctionnaires.
D’un paysan de Bederiana elle fait Justinien ; du fils d’un palefrenier
de Phrygie, le savant Théophile ; d’un aventurier macédonien, le grand
empereur Basile ; du slave Nicétas, un patriarche.
La Cour et la Ville contribuaient à cette transformation. Cette cour était la plus vieille de l’Europe, au cérémonial antique, respectable, exigeant, minutieux, excellente discipline pour les Barbares ; elle était en même temps un centre de science administrative et diplomatique, de bel esprit, d’intrigues et de luttes, d’activité bonne ou mauvaise où le plus barbare se dégrossissait à vue d’œil.
A Constantinople, les Barbares se trouvaient en contact avec la masse grecque la plus compacte de l’empire, avec une population passionnée pour l’orthodoxie, d’une délicatesse athénienne en fait de langage, où se rencontrait le plus grand peuple de théologiens, de lettrés et d’artistes qu’on pût rencontrer dans aucune ville de la chrétienté.
Sainte-Sophie et ses splendeurs artistiques et liturgiques, le Sacré Palais et ses intrigues, l’Hippodrome et ses passions, voilà les trois centres d’éducation de tout Barbare en train de devenir Byzantin.
Byzance faisait l’empire ; à l’occasion, elle le refaisait ; parfois elle était tout l’empire.