Page:Langlois - Histoire du moyen âge, 1901.djvu/410

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ne me tuez pas ! je n’ai pas mon haubert[1] ! » et le Maréchal avait répondu : « Non ! je ne vous tuerai pas, que le diable vous tue ! » et il s’était contenté de le mettre à pied en lui tuant son cheval. Or, présentement c’était Richard qui était roi. Il arrivait à Fontevrault, ayant appris la mort de son père. « Mais, » dit le poète, toujours habile à insinuer ce qu’il ne veut pas dire, « je n’ai pas enquis ni su s’il en fut affligé ou content. » Cependant les barons qui avaient été fidèles à Henri, qui par conséquent avaient combattu contre Richard, se tenaient à l’entour de la bière. « Ce comte[2] », disaient les uns, « nous voudra mal, parce que nous nous sommes tenus avec son père. — Qu’il fasse comme il voudra ! » disaient les autres ; « ce n’est pas à cause de lui que Dieu nous abandonnera ! Il n’est pas le maître du monde, et s’il nous faut changer de seigneur, Dieu nous guidera. Mais c’est pour le Maréchal que nous sommes inquiets, car il lui a tué son cheval. Toutefois le Maréchal peut bien savoir que tout ce que nous possédons, chevaux, armes, deniers, est à son service. — Seigneurs, » répond le Maréchal, « il est vrai que je lui ai tué son cheval, mais je ne m’en repens pas. Grand merci de vos offres, mais j’aurais peine à accepter ce que je ne saurais rendre. Dieu m’a accordé tant de bienfaits depuis que je suis chevalier, qu’il m’en accordera encore, j’en ai la confiance. »

Et tandis qu’ils parlaient ainsi, ils virent venir le comte de Poitiers, « et je vous dis — c’est le poète qui parle — qu’en sa démarche il n’y avait apparence de joie ni d’affliction, et personne ne nous saurait dire s’il y eut en lui joie ou tristesse, déconfort, courroux ou liesse ». Il s’arrêta devant le corps et demeura un temps silencieux, puis il appela le Maréchal et Maurice de Craon. La conversation qui eut lieu entre Richard et le Maréchal a dû être contée plus d’une fois par ce dernier à ses amis, notamment à Jean d’Erlée, de qui le poète l’a probablement recueillie. Elle est à l’honneur de l’un et de l’autre. Guil-

  1. Il était considéré comme déloyal de frapper un chevalier qui n’avait pas ses armes défensives.
  2. Comte de Poitiers. Richard n’était pas encore couronné.