Page:Langlois - Histoire du moyen âge, 1901.djvu/454

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du Fils, comme celle-ci l’avait été à celle du Père. Il faut citer tout ce passage où court un grand souffle. Joachim caractérise les trois âges religieux du monde, dont le dernier lui semble près de se lever :

« Le premier a été celui de la connaissance, le second celui de la sagesse, le troisième sera celui de la pleine intelligence. Le premier a été l’obéissance servile, le second la servitude filiale, le troisième sera la liberté. Le premier a été l’épreuve, le second l’action, le troisième sera la contemplation. Le premier a été la crainte, le second la foi, le troisième sera l’amour. Le premier a été l’âge des esclaves, le second celui des fils, le troisième sera celui des amis. Le premier a été l’âge des vieillards, le second celui des jeunes gens, le troisième sera celui des enfants. Le premier s’est passé à la lueur des étoiles, le second a été l’aurore, le troisième sera le plein jour. Le premier a été l’hiver, le second le commencement du printemps, le troisième sera l’été. Le premier a porté les orties, le second les roses, le troisième portera les lis. Le premier a donné l’herbe, le second les épis, le troisième donnera le froment. Le premier a donné l’eau, le second le vin, le troisième donnera l’huile. Le premier se rapporte à la Septuagésime, le second à la Quadragésime, le troisième sera la fête de Pâques. Le premier âge se rapporte donc au Père, qui est l’auteur de toutes choses ; le second au Fils, qui a daigné revêtir notre limon ; le troisième sera l’âge du Saint-Esprit, dont l’apôtre dit : Là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté, ubi Spiritus Domini, ibi Libertas. »

Mais c’est bien sur cette terre et dès cette vie et non plus seulement dans la Jérusalem paradisiaque de l’Apocalypse, de saint Augustin et de Scot Erigène, que devait se manifester la révélation joachimite. Le rêveur de Flore y réservait aux moines, aux contemplatifs, aux spirituales viri, le ministère dévolu jusqu’alors aux clercs, à l’Église séculière. De quelles catastrophes serait précédée la grande évolution religieuse ? Joachim pressentait des années tragiques, et, dans les derniers jours du XIIe siècle, il calculait en tremblant que les deux prochaines générations humaines de trente années verraient cette crise extraordinaire, que peut-être elle allait commencer, qu’au plus tard elle éclaterait en l’an 1260.