Page:Langlois - Histoire du moyen âge, 1901.djvu/453

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religion de l’Évangile Éternel. Comme beaucoup d’âmes excellentes, il se laissa entraîner par le mouvement de mysticisme qui, à côté du franciscanisme pur, et au sein même de l’institut de saint François, agita, vers le milieu du XIIIe siècle, l’Italie, et effraya l’Église ; contradiction curieuse du christianisme, embrassée par des hommes qui se croyaient sincèrement les plus réguliers des chrétiens et qui se préparaient, par la plus audacieuse des hérésies, à la réalisation des promesses suprêmes de Jésus.

Cette crise religieuse dont le XVIe siècle a vu les derniers incidents existait à l’état latent depuis le premier âge du christianisme. L’évangile de saint Jean et l’Apocalypse avaient laissé entendre que la situation religieuse du monde ne tarderait pas à changer profondément, et qu’une ère meilleure et définitive était proche. Le règne futur du Saint-Esprit, du Paraclet, précédé par le règne temporel du Christ pendant mille ans, la venue de la Jérusalem céleste, le triomphe momentané, puis la chute horrible de l’Antéchrist, la fin des choses terrestres, toutes ces idées avaient, dès l’époque apostolique, préoccupé les consciences nobles. La dure expérience de l’histoire, la misère du moyen âge, les scandales de l’Église romaine les avaient confirmées davantage. Saint Augustin les avait reçues de saint Jean ; Scot Erigène les reçut de saint Augustin. Les hérésiarques scolastiques les possèdent tous, si je puis ainsi dire, en puissance. Elles reparaissent, au commencement du XIIIe siècle, dans l’école d’Amauri de Chartres, qui ne doit rien certainement à Joachim de Flore. Celui-ci, un poète, un visionnaire, perdu dans ses montagnes de Calabre, mais habitué, par le contact de la chrétienté grecque, à une exégèse très libre, avait rendu à l’Italie, vers la fin du XIIe siècle, ces vieilles terreurs et ces vieilles espérances. Un jour, dans le jardin de son couvent, un jeune homme d’une beauté rayonnante lui était apparu, portant un calice qu’il tendit à Joachim. Celui-ci but quelques gouttes et écarta le calice. « O Joachim, dit l’ange, si tu avais bu toute la coupe, aucune science ne t’échapperait ! » Mais l’abbé de Flore avait assez goûté de la liqueur mystique pour annoncer, dans sa Concordia novi et veteris Testamenti, une troisième révélation religieuse, celle de l’Esprit, supérieure à celle