Page:Langlois - Histoire du moyen âge, 1901.djvu/490

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tracé l’image ? Ce Dieu crée dans le but de manifester ses propres perfections. Il est juste et charitable, mais sa justice et sa charité ne sauraient se déployer dans le même objet. Pour mettre au jour la justice divine, il faut qu’il y ait des damnés ; l’éternité du mal moral et de la punition du mal forme une condition indispensable de la perfection du monde. Sans enfer, le monde ne serait pas digne de Dieu. Pour donner occasion à sa miséricorde, il faut que parmi les pécheurs, justes objets des vengeances divines, quoiqu’ils soient nécessairement pécheurs, puisque sans cela l’œuvre de Dieu serait manquée, il faut, dis-je, que parmi les pécheurs, tous également dignes d’un malheur éternel, il fasse grâce arbitrairement à quelques-uns et les comble de félicités, sans qu’il y ait en eux aucune raison pour les distinguer des autres. Tout en magnifiant l’orthodoxie de saint Augustin, l’Église romaine a reculé devant ces doctrines ; mais les réformateurs et les jansénistes y ont abondé…. Comment accorder une théologie pareille avec le mot de saint Jean : Dieu est amour ? Comment ne pas voir dans cette idée de la nécessité du mal un reste du manichéisme auquel saint Augustin s’était rattaché dans sa jeunesse ? Comment ne pas reconnaître les influences néo-platoniciennes dans la conception métaphysique dont cette théologie est un corollaire : l’idée que le monde étant l’image de l’être parfait dans l’imperfection essentielle à tout ce qui n’est pas cet être lui-même, il trouve sa perfection à réaliser tous les degrés possibles de perfection relative et par conséquent d’imperfection ? Le mal moral nous est présenté comme un de ces degrés, un effet, une forme du non-être ; mais ce caractère privatif, cette irréalité du mal moral, par laquelle Augustin essaie de pallier les énormités de sa doctrine, n’est-elle pas tout ce qu’on peut imaginer de plus contraire au sentiment chrétien ? Quoi, Jésus serait mort sur la croix pour nous délivrer de quelque chose qui n’est rien !… Comment haïr ce qui n’est pas ? Le monde qu’Augustin conçoit comme répondant aux perfections divines est une abstraction de l’intelligence d’une valeur métaphysique assez douteuse, évidemment inspirée par un intérêt logique, esthétique, et complètement étrangère à l’ordre moral où le christianisme est enraciné.