Page:Langlois - Histoire du moyen âge, 1901.djvu/564

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Palice. Son cerveau engourdi de bœuf de labour est impropre à la pensée ; il ne parle qu’en proverbes, comme Sancho Pança. La sagesse des nations est toute sa sagesse, et l’on dresse des recueils de locutions populaires sous le titre de Proverbes au vilain[1].

Sans doute le paysan français du XIIIe siècle était, comme le paysan de tous les temps et de tous les pays, dur, fermé, malpropre, dépourvu de qualités chevaleresques. Les jongleurs nous le représentent (mais, cette fois, sans y trouver à redire) battant sa femme s’il la soupçonne d’inconduite, ou si le souper n’est pas prêt, ou si seulement elle le contredit :

    Sa fame prist par les cheveus
    Si la rue a terre et traïne.
    Le pié li met sur la poitrine :
    « Ha ! fame ! ja Dieus ne t’aïst ! »

Cette brutalité de mœurs s’explique par l’âpreté de la vie rustique. A la campagne, l’homme est plus près qu’ailleurs de l’humanité primitive à laquelle toute hygiène matérielle et toute délicatesse psychologique étaient inconnues. On n’a pas le temps d’être plus soigné ni plus aimable qu’une bête de somme quand on travaille sans relâche comme une bête de somme. Le continuel souci du pain quotidien et la fatigue accablante qu’on éprouve à gagner ce pain rétrécissent l’horizon et racornissent, la générosité native, s’ils ne la détruisent pas. Philippe de Beaumanoir, que ses fameuses Coutumes du Beauvoisis et ses romans mettent au premier rang des écrivains du moyen âge, n’a pas dédaigné de rimer à ce sujet un charmant apologue, bien différent des plates productions des jongleurs de cour. Il montre, dans Fole Larguece, les instincts altruistes

  1. Cf. une curieuse pièce en prose intitulée : Des.XXIII. manières de vilains (éd. Jubinal, Paris, 1834, in-8º). Quelques traits de cette furieuse diatribe ont assez de naturel. Le vilain refuse d’enseigner leur chemin aux étrangers et leur dit : « Vous le savez miex que je ne faic ! » S’il voit un gentilhomme passer devant sa porte, l’épervier au poing : « Cil huas mangera anuit une geline, et mi anfant en fuissent tout saoul. » S’il visite la capitale, il s’arrête devant Notre-Dame, regarde les rois du portail, et dit : « Vex ci Pepin, vès la Charlemainne ! » et on lui coupe sa bourse par derrière.