Page:Langlois - Histoire du moyen âge, 1901.djvu/57

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naître ailleurs qu’il ne faut pas donner trop d’importance à ses reproches et les faire tomber sur tout le monde ; il nous dit, en commençant ses violentes invectives, que Rome est toujours grande et glorieuse, mais que son éclat est compromis par la légèreté criminelle de quelques personnes (levitate paucorum incondita) qui ne songent pas assez de quelle ville ils ont l’honneur d’être citoyens. Ainsi, de son aveu même, les coupables ne sont que l’exception.

Les colères de saint Jérôme ne m’inspirent pas plus de confiance que les épigrammes d’Ammien. C’était un saint fort emporté ; ses meilleurs amis, comme Rufin et saint Augustin, en ont fait l’épreuve. Les gens de ce tempérament vont tout d’un coup d’un extrême à l’autre, et d’ordinaire ils détestent le plus ce qu’ils ont le mieux aimé. C’est précisément ce qui a rendu saint Jérôme si dur pour la société romaine : il en avait été trop charmé et n’a jamais pu lui pardonner l’attrait qu’elle avait eu pour lui. Les jouissances délicates de sa vanité littéraire, ses entretiens fréquents avec des femmes d’esprit, le plaisir qu’elles trouvaient à l’entendre, les applaudissements qu’elles donnaient à ses ouvrages, tout cela faisait partie de ces « délices de Rome », dont le souvenir poignant le suivait au désert et troublait sa pénitence. Il leur a fait payer par ses invectives la peine qu’il éprouvait à s’en détacher. Rome est pour lui une autre Babylone, « la courtisane aux habits de pourpre ». Il lui reproche en général toute sorte de débordements ; mais il est remarquable que, lorsqu’il en vient à des accusations précises, il ne trouve guère à reprendre chez elle que les futilités de la vie mondaine. A quoi passe-t-on le temps dans la grande ville ? A voir et à être vu, à recevoir des visites et à en faire, à louer les gens et à en médire. « La conversation commence, on n’en finit plus de bavarder. On déchire les absents, on raconte des histoires du prochain, on mord les autres et, à son tour, on en est mordu. » Ce tableau est agréable ; mais que prouve-t-il, sinon que la société de tous les temps se ressemble ? Remarquons que saint Jérôme attaque ici tout le monde, sans distinction de culte. On a voulu se servir de son témoignage pour établir que la société païenne était de