Page:Langlois - Histoire du moyen âge, 1901.djvu/77

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peuple de Tours, Grégoire répond à ce roi qui s’apprête à violer les canons que le jugement de Dieu est suspendu sur sa tête. Chilpéric, pour le calmer, l’invite à s’asseoir à sa table, et, lui montrant un plat : « J’ai fait préparer ceci pour toi, dit-il, c’est de la volaille avec des pois chiches » ; mais Grégoire répond, avec cette naïveté solennelle que mettent souvent dans ses paroles la conscience de sa haute dignité avec l’habitude du langage ecclésiastique : « Ma nourriture est de faire la volonté de Dieu et non pas de me délecter en ces délices. » Il savait bien pourtant qu’il y avait péril à braver Chilpéric et Frédégonde ; mais, entre le martyre et la désobéissance aux lois de Dieu et de l’Église, il aurait avec joie pris le martyre. Et cet homme d’un cœur si tendre, d’une conscience si délicate, raconte de grands crimes sans s’émouvoir et souvent même en ayant l’air de les approuver. Pour choisir un exemple bien connu, Clovis a employé tous les modes de la scélératesse lorsqu’il a voulu acquérir le royaume de Sigebert : Sigebert, roi de Cologne, a été assassiné par son propre fils Cloderic, à l’instigation de Clovis ; Cloderic a été assassiné par l’ordre du même Clovis ; celui-ci se rend à Cologne et convoque les Francs : « Je ne suis pour rien dans ces choses, leur dit-il ; je ne puis, en effet, répandre le sang de mes parents, puisque cela est défendu ; mais ce qui est fait, est fait, et j’ai un conseil à vous donner…. Réfugiez-vous vers moi, afin que vous soyez sous ma protection. » Les Francs l’applaudissent par des clameurs et le fracas des boucliers ; ils l’élèvent sur le pavois et le mettent en possession du trésor et du royaume ; « car Dieu, dit Grégoire en matière de moralité, faisait tomber chaque jour ses ennemis sous sa main, parce que ce roi marchait devant le Seigneur avec un cœur droit et qu’il faisait ce qui était agréable à ses yeux. » Et l’évêque énumère d’autres meurtres commis par Clovis avec autant de calme que s’il récitait une litanie. Comment donc ce saint homme compromet-il sa vertu et la grandeur même de Dieu dans ce panégyrique d’un méchant Barbare, et qu’entend-il par un cœur droit, où se trouvera-t-il des cœurs pervers, s’il reconnaît en Clovis la droiture du cœur ? Rien de plus simple que son critérium. Tous les cœurs sont droits qui confessent, tous les cœurs