Page:Langlois - Histoire du moyen âge, 1901.djvu/91

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à reconnaître dans le Crucifié le maître du monde et reprochait à sa femme « d’adorer un dieu qui n’était pas de la race des dieux », Clotilde lui faisait honte de vénérer des idoles et d’adorer Jupiter, qui a souillé les hommes de son amour et qui a épousé sa propre sœur, puisque Virgile fait dire à Junon qu’elle est « et la sœur et l’épouse du maître des dieux » ; mais Clovis n’avait pas d’idoles, ne connaissait ni Jupiter ni Junon, ne comprenait pas par conséquent cette dialectique surannée, employée jadis contre les païens d’Athènes et de Rome, et que l’Église ne se donnait pas la peine de renouveler. Aussi les réponses du roi barbare montrent-elles qu’il n’entend pas ce qu’on lui veut dire. Le jour où il a vu les siens plier sur le champ de bataille, il a pensé au Dieu de Clotilde, non point pour se souvenir de l’enfantine théologie qu’elle lui avait enseignée, mais pour inviter le Christ à montrer sa force : « Clotilde dit que tu es le fils du Dieu vivant et que tu donnes la victoire à ceux qui espèrent en toi. J’ai imploré mes dieux, mais ils ne me prêtent aucune assistance. Je vois bien que leur puissance est nulle. Je t’implore et je veux croire en toi, mais tire-moi des mains de mes ennemis ! » Entre ses dieux et le Christ il a donc institué une sorte de duel judiciaire, et, quand le Christ se fut montré le plus fort, il l’adora, non pour être né dans une crèche et pour être mort sur la croix, mais parce qu’il avait cassé la tête de ses ennemis.

Peu importe que Grégoire nous ait exactement conté l’histoire de la conversion de Clovis ; il suffit qu’il se la représente comme il fait pour que nous sachions qu’un des évêques les meilleurs et les plus éclairés de la Gaule ne soupçonne même pas qu’il faille chercher une méthode de prédication à l’usage des païens germaniques. Point de preuve plus convaincante de l’inertie intellectuelle où l’Église était tombée. Cette inertie est la cause principale de son impuissance, comme l’énergie intellectuelle des premiers siècles avait été la cause principale des victoires remportées sur le paganisme grec et romain. L’activité de l’esprit s’est soutenue pendant la lutte contre les hérésies, mais les combats que l’Église livre alors sont de guerre civile, et comme la guerre civile fait oublier l’ennemi extérieur, la guerre contre