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LE RAPPORT À LA VIE.

qu’on pense à Racine, parce qu’on veut passer à Racine ; et comme on juge que Racine est vrai, Corneille étant autre, on le déclare hors du vrai. Mais la vérité est-elle une en ces matières ? Laissons les comparaisons. Tâchons de ne pas nous souvenir de Racine, et regardons Corneille en lui-même, sans souci d’en faire un pendant symétrique.

Il y a trois vérités, ou trois relations par où le roman et le théâtre peuvent se rattacher à la vie. En premier lieu, la vérité locale, celle que Fénelon appelait il costume, celle qui se rapporte au propre, à l’accident, à l’individualité du sujet : c’est celle-là qui donne à une œuvre une couleur historique ou une physionomie actuelle. En second lieu, il y a une vérité moyenne dans la représentation de la vie, dans le dessin des caractères et des passions, dans le choix des actes et le ton des discours, qui fait que l’ouvrage ressort visiblement vrai pour la majeure partie des hommes et n’excède guère les limites de leur expérience commune. Cette vérité-ci est une sorte de réalisme moral. Enfin il y a une vérité supérieure, idéale, qui ne représente à la rigueur rien de réel, qui dépasse toute expérience d’homme, et qui pourtant, là où elle est, donne la plus puissante impression de la vie : là où elle manque, les œuvres sont moins vraies, quoiqu’elles en puissent coïncider plus exactement avec le réel. Dans quelle mesure ces trois vérités se rencontrent-elles chez Corneille ?

J’ai déjà dit qu’il ne fallait pas lui demander la couleur historique. Il n’en a aucune, et si l’on se laisse prendre à ses Romains pour les raisons que