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CORNEILLE.

nous avons vues, on ne se trompe ni à ses Grecs, ni à ses Asiatiques, ni à ses Byzantins, ni à ses Lombards, ni à ses Huns et ses Francs, ni même à ses Espagnols : ils sont tous français, contemporains du poète et bons sujets du roi Louis XIII. C’est-à-dire que, comme rien n’existe que dans une forme particulière, tout ce que le théâtre cornélien perd du côté de la couleur historique, il le regagne en intense actualité. Il nous offre une fidèle et saisissante peinture de cette France de Richelieu, de cette classe aristocratique qui inaugurait la monarchie absolue et la vie de société. Les sujets de l’histoire ancienne y sont tournés en tragédie politique : c’est qu’autour du poète, l’histoire qui se fait, c’est de la politique. Jamais la politique et son alliée l’intrigue n’ont eu plus de jeu, n’ont plus occupé les esprits. Négociations à l’extérieur, transports de pouvoir et de royauté, règlements et marchandages du sort des États, trames intérieures, conspirations, révoltes, enchevêtrement des intérêts de cœur et des intérêts publics, fuites de princesses mettant les peuples aux prises, mariages de princes allumant la guerre ou scellant la paix, immolations des sentiments personnels à la dignité du rang et à la raison d’État, sacrifice du bien commun à la passion égoïste : c’est alors l’histoire de chaque jour, et c’est la tragédie de Corneille.

Émilie et Cinna, c’est une Chevreuse engageant un Chalais ou un Marsillac dans de dangereuses aventures : et comme il arrive souvent que l’art devance la vie, ce sera dans dix ans la Fronde, une Longueville faisant d’un La Rochefoucauld ou d’un