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CORNEILLE ET DESCARTES

logue de Camille où elle concerte les moyens de faire expier à son frère la mort de son amant, et de là le mot de ce frère quand il tire l’épée pour tuer sa sœur, coupable d’avoir insulté sa patrie :

C’est trop : ma patience à la raison fait place.

(IV,5.)

Que la passion première soit tout à fait mauvaise, ou que Pâme, égarée par une connaissance insuffisante, choisisse avec réflexion un faux bien pour objet de sa volonté, on aura le scélérat cornélien, héros de la volonté tout comme le généreux cornélien. Sa scélératesse n’a pas l’allure inégale et capricieuse, les à-coups et les secousses de l’action impulsive et irraisonnée : elle est rectiligne, égale, inépuisable, exempte d’hésitation et de trouble, parce qu’elle est l’application consciencieuse d’une maxime réfléchie. Je ne puis que renvoyer à la Cléopâtre de Rodogune. En revanche, il suffira que la fausseté du jugement qui règle les actes du personnage lui soit montrée et aussitôt il pivotera sur lui-même, il fera volte-face, et se remettra en marche dans une direction absolument opposée, du même pas égal et soutenu dont il marchait tout à l’heure en sens inverse. La raison éclairée tout d’un coup a retourné tout d’un coup la volonté. Émilie voit dans Auguste un tyran féroce et sanguinaire : nul bienfait ne l’a ramenée. Elle veut le tuer. Mais Auguste fait grâce entière à son amant, à elle ; il révèle une générosité qu’elle ne soupçonnait pas : par suite le jugement d’Émilie change soudain.

Ma haine va mourir que j’ai crue immortelle.
Elle est morte,