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HOMMES ET LIVRES

dit-elle et la plus forcenée des furies devient en un instant la plus dévouée des filles.

De pareilles volte-face ne sont pas à craindre, quand les jugements de la volonté sont appuyés sur la connaissance de la vérité : alors on ne connaît plus ni regret, ni repentir :

Je le ferais encore si j’avais à le faire,


répètent à l’envi les héros cornéliens. Et ne voit-on pas sortir de la dernière phrase de cet article 49 le héros impassible, impeccable, sans émotion comme sans défaillance, qu’on a tant de fois reproché à Corneille, et dont on a tant de fois raillé l’invraisemblance ?

Descartes y tient, à cette sérénité imperturbable de l’homme sûr de sa volonté, et qui s’y retranche en telle sorte que rien ne l’y saurait atteindre ni forcer. Il se reprend plus d’une fois à la décrire et, en la décrivant, c’est l’état d’âme des Nicomède, des Sertorius et des Suréna qu’il analyse :

Art. 148. — … Il est certain que, pourvu que notre âme ait toujours de quoi se contenter en son intérieur, tous les troubles qui viennent d’ailleurs n’ont aucun pouvoir de lui nuire mais plutôt ils servent à augmenter sa joie, en ce que, voyant qu’elle ne peut être offensée par eux, cela lui fait connaître sa perfection. Et afin que notre âme ait ainsi de quoi être contente, elle n’a besoin que de suivre exactement la vertu. Car quiconque a vécu en telle sorte que sa conscience ne lui peut reprocher qu’il ait jamais manqué à faire toutes les choses qu’il a jugées être les meilleures (qui est ce que je nomme ici suivre la vertu), il en reçoit une satisfaction qui est si puissante pour le rendre heureux, que les plus violents efforts des passions n’ont jamais assez de pouvoir pour troubler la tranquillité de son âme.

Et cette tranquillité d’âme a son fondement dans