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CORNEILLE ET DESCARTES

l’assurance que rien n’est à nous si bien qu’assuré de son vouloir, l’homme se détache du reste, et voit indifféremment l’événement tourner pour ou contre lui. Il sait que, quoi qu’il arrive, sa liberté intérieure subsistera tout entière.

Faites votre devoir et laissez faire aux dieux,


dit le vieil Horace et, Nicomède, Sertorius, Suréna, assistent impassibles, sans un mouvement de crainte ni de dépit, sans la plus légère marque de trouble et d’émotion, aux intrigues et aux complots qui menacent leur liberté, leur fortune ou leur vie. Descartes va nous en rendre raison.

Art. 152. — Je ne remarque en nous qu’une seule chose qui nous puisse donner juste raison de nous estimer, à savoir l’usage de notre libre arbitre, et l’empire que nous avons sur nos volontés car il n’y a que les seules actions qui dépendent de ce libre arbitre pour lesquelles nous puissions avec raison être loués on blâmés…

Art. 153. — Ainsi je crois que la vraie générosité, qui fait qu’un homme s’estime au plus haut point qu’il se peut légitimement estimer, consiste seulement partie en ce qu’il connoît qu’il n’y a rien qui véritablement lui appartienne que cette libre disposition de ses volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blâmé sinon pour ce qu’il en use bien ou mal, et partie en ce qu’il sent en soi-même une ferme et constante résolution d’en bien user, c’est-à-dire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses qu’il jugera être les meilleures ; ce qui est suivre parfaitement la vertu.

Jamais, je crois, le principe de l’héroïsme cornélien et de l’admiration que malgré tout il inspire, n’a été mieux mis à découvert que dans ces dernières lignes. On y voit à merveille comment cet héroïsme de la