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HOMMES ET LIVRES

fectionne d’autant. Je dis aussi qu’elle ne saurait être trop grande, car tout ce que la plus excessive peut faire, c’est de nous joindre si parfaitement à ces biens, que l’amour que nous avons particulièrement pour nous-mêmes n’y mette aucune distinction, ce que je crois ne pouvoir jamais être mauvais et elle est nécessairement suivie de la joie, à cause qu’elle nous représente ce que nous aimons comme un bien qui nous appartient.

Cet amour, bien différent du désir qui naît de l’agrément, et qui est l’amour ordinaire des romans et des comédies, cet amour se fonde en somme sur l’estime. Chimène aime Rodrigue, parce qu’elle ne connaît rien de meilleur. Pauline a aimé Sévère parce que jamais Rome

N’a produit plus grand,cœur ni vu plus honnête homme.


Aimer un homme, c’est donc aimer le bien qui est en lui c’est donner un culte légitime à l’excellence d’une nature la meilleure qu’on ait rencontrée. De la ces adorations, ces dévotions des amants dans le théâtre de Corneille. De là vient que cet amour est vertu, et source de vertu, parce qu’il n’est autre chose en soi que l’amour de la perfection :

Des grandes actions il rend l’homme amoureux…
L’impossibilité jamais ne l’épouvante…
Ainsi qui sait aimer se rend, de tout capable…
Mais le manque d’amour fait le manque de cœur.

(Imitation de J.-C.)

C’est de l’amour de Dieu que Corneille dit cela : mais l’amour de Dieu n’est pas différent essentiellement de l’amour des créatures il n’en diffère que par l’absolue perfection de l’objet, tandis que dans les créatures la perfection est toujours bornée. Cette identité des senti-